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Zone temporaire

2001

collectif MÉTAmorphoZ

Zone temporaire / conception Valérie Cordy 
scénographie et performance scénographique Natalia de Mello

Texte Valérie Cordy :

Cet élément a déjà été développé au CDN de Caen (septembre 2001), aux Brigittines (novembre 2001) et au Teatro San Giorgio de Udine (décembre 2001).
 
Il est composé d’- un grand écran de projection (écran classique aux Brigittines, composé de draps et de tissus divers à Udine).
                            - deux caisses en carton
                            - trente rouleaux de papier toilette.
 
LES SIMS :
Le jeu de simulation sur ordinateur, intitulé SIMS, est projeté sur l’écran. Il s’agit de la création virtuelle d’une famille au mode de vie américain, dont chaque membre est défini par le joueur : son nom, son âge, sa nationalité, son physique, son signe astrologique, sa psychologie, ses goûts (parmi ceux de la lecture, la musique, la danse, la parapsychologie, la peinture, le billard, le jeu d’échecs, la télévision, l’ordinateur, les sports, les machines à sous, la boîte du petit chimiste, le flipper, le train électrique, la maison de poupée…). Ils sont créés au départ et de façon irréversible. Le nombre de membres composant la famille est de huit au maximum. Ils parlent une langue propre, le sims, absolument incompréhensible dans son vocabulaire mais dont les intonations (anglo-saxonnes) sont familières. Un capital de monnaie sims leur est alloué pour leurs premiers jours d’existence, lorsqu’ils s’installent sur un terrain acheté grâce à ce capital.
Le but du jeu est de les faire cohabiter harmonieusement. Le travail qu’ils trouvent par petites annonces leur permet d’augmenter leur capital de départ. Les enfants reçoivent de leur côté des bulletins scolaires et des gratifications pécuniaires des grand-parents en cas de bons résultats. La construction de la maison peut alors commencer, son confort est primordial pour le moral de tous les membres, à l’image d’une société de consommation idéalement conçue ; tout un choix de matériaux et d’objets de première nécessité jusqu’au luxe le plus extravagant est proposé dans un catalogue. Les critères d’appétit, de confort, d’hygiène, de petits besoins, d’énergie, de distractions, de qualité de vie sociale et d’espace, permettent d’évaluer la forme physique et morale de chacun des membres. Des passions entre plusieurs cohabitants peuvent se déclarer. Certains se révèlent incapables de garder leur travail, de ranger l’espace commun, d’entretenir de bonnes relations avec les autres membres de la famille, et tombent dans la dépression (disputes, manque de sommeil, incontinence…). D’autres sont au contraire extrêmement bien intégrés socialement.
Le joueur peut influer sur leurs occupations comme il peut les laisser vivre de façon indépendante.
Il peut créer plusieurs familles, chacune dans sa maison, et tisser de nouveaux liens sociaux entre chacune d’elle.
 
Sur l’écran de projection, la démarche est la même pour construire les personnages de la famille virtuelle comme la maison. Prendre un terrain, prendre un corps… On choisit la structure, la taille, la forme. On décore la maison et les personnages puis on leur donne un caractère. On les assemble de façon à ce qu’ils soient compatibles. Le joueur entretient les besoins domestiques et sentimentaux des personnages virtuels dans ce travail de responsabilité sur leur vie quotidienne.
 
Deux caisses en carton, supports (tables) pour les comédiennes, sont posées sur la scène, de façon asymétrique, face au public.
Les comédiennes restent immobiles dans l’espace réel mais leurs présences, leurs mots voyagent entre la scène et l’écran, entre le réel et le virtuel.
 
Des rouleaux de papier toilette sont présents comme élément domestique, familier voire même trivial pour tout un chacun. Natalia de Mello les déroulait sur le sol des Brigittines, dans des trajectoires diverses formant un réseau aléatoire, ou du haut de la balustrade comme à Udine, complétant et déstructurant l’écran de projection. Aux Brigittines, les rouleaux posés au sol étaient violemment éclairés, illuminés tels des bougies blanches sous la voûte élancée de cette chapelle. Leur disposition épousait le plan architectural de la nef. Mais l’action de la plasticienne ramenait du sacré au profane ces objets ambivalents. Et cet acte signifiait simplement un plaisir enfantin qui irrite a priori les adultes par sa gratuité.
 
Les comédiennes entrent dans l’espace de la scène, jusqu’à leur boîtes/ tables, et s’assoient.
Le jeu des Sims est déjà lancé sur l’écran, avec les bruits et musiques du quotidien qui le ponctuent.
Avant même leur entrée en scène, les comédiennes obéissent à une règle simple : énumérer à haute voix toutes leurs actions dans un synchronisme parfait.
« Je marche. Je marche. J’entre sur le plateau. Je m’assoie face au public. Je regarde devant. Je prends un stylo. Je tire un trait. Je pose le stylo. J’ouvre un magazine. Je regarde le magazine. Je tourne une page, je tourne une page. Je lis. Je ferme le magazine. Je prends une pomme. Je croque. Je mâche. J’avale. Je pose la pomme (etc.) ». Elles énoncent leurs actions dans un rythme rapide, l’une après l’autre, l’une avec l’autre, suivant le rythme des actions qu’elles accomplissent. Ces actions dépendent des accessoires présents sur leur table.
 
La deuxième phase de l’élément, après épuisement de la première, les amène à rentrer virtuellement dans la maison des Sims. Elles décrivent leurs actions dans ce nouvel espace, sur le même mode que précédemment, mais avec les meubles et accessoires projetés à l’écran.
 
La troisième phase consiste à continuer cette énumération, mais un mot peut maintenant en remplacer un autre, de façon aléatoire. « Je mets ma boîte aux lettres, je mets ma boîte aux lettres. Je rentre dans le frigo. Je fais couler une pierre. Je zappe. »
 
La dernière phase consiste à ajouter crescendo des déformations sonores – ralentissement, réverbération, changement de fréquences des voix, etc. – à la voix de chacune des deux comédiennes. Celles-ci retournent dans l’espace de la scène, renommant chacun de leurs gestes et chacun de leurs objets. Marc Doutrepont ajoute au bruitage des Sims cette altération plus ou moins sensible/ violente de leur voix. Un silence brutal, synchrone avec un noir complet sur la scène, clôt brusquement l’élément. Le silence surpris des spectateurs y répond.
 
Le non-sens s’est peu à peu construit, très systématiquement. Ordre et chaos se confondent au son et dans l’espace, dans le langage et dans l’acte de Natalia sur la scène : dérouler un rouleau de papier toilette dans cet espace est absurde. A Udine, l’image elle-même était parasitée par la destruction progressive de l’écran de projection. Natalia jetait les rouleaux du haut de la balustrade ceinturant la scène du théâtre, complétant ainsi de façon anarchique l’écran des Sims (les tissus blancs captant beaucoup plus la lumière de la projection que le fond noir du mur du fond de la scène). Elle rejetait ensuite brusquement les draps et tissus accrochés lentement au début de l’élément et les laissait tomber au sol.
La règle du jeu est parasitée, sans basculer d’un côté ou d’un autre. L’ordre initial a été respecté, mais il est devenu progressivement incompréhensible. Dans l’espace réel confondu avec le virtuel.

 

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